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vendredi 27 janvier 2012

« La Constitution, c’est moi qui l’ai rédigée ! » Il faut alors l’assumer ! Réponse à Abdoulaye Wade Par El Hadj Mbodj Professeur titulaire des univer

Dans une interview accordée au quotidien en ligne « Dakaractu », le Président Wade a, une fois de plus, étalé les micmacs des circonstances d’élaboration de la Constitution de l’alternance, censée apporter des solutions efficientes à l’omnipotence du pouvoir présidentiel. (http://www.dakaractu.com/A-deux-jours-de-la-decision-du-Conseil-constitutionnel-Abdoulaye-Wade-se-confie-a-dakaractu-au-sujet-de-sa-candidature_a11486.html)

Alors qu’il clamait à hue et à dia que la procédure d’élaboration de la nouvelle était la plus démocratique au monde, voilà qu’il vient d’avouer sans réserve : « La Constitution, c’est moi qui l’ai rédigée. Tout seul. » Allant même plus loin, il dénie toute existence au comité d’experts qu’il avait lui-même mis en place pour écrire de l’avant-projet de loi fondamentale : « Il n’y a pas eu de commission de rédaction. La Constitution est mon œuvre. »

Cette confession nous paraît d’une extrême gravité si l’on se réfère à la quintessence de la Constitution qu’il faut se garder de banaliser à tout bout de champ. « Expression d’un consensus national », selon la formule bien heureuse du Cardinal Théodore Adrien Sarr, la Constitution ne saurait s’accommoder d’une quelconque univocité. Elle n’est jamais, ou tout au moins, ne devrait jamais être la traduction institutionnelle d’une volonté unique. Dans les systèmes démocratiques, la constitution est élaborée selon une procédure inclusive ouverte à tous les segments de la population, contrairement aux procédés non démocratiques où l’œuvre constitutionnelle est confisquée par un individu ou un groupe restreint.

Avouant être l’auteur exclusif de la Constitution du 22 janvier 2001, le Président Wade est, une fois de plus, auteur d’un détournement de procédure qui lui a ainsi permis de se tailler un manteau constitutionnel à la hauteur de ses ambitions.

Cette interview, cavalière à un moment où le contentieux de la validité de sa candidature est pendant devant le juge des élections nationales, occulte une nouvelle ruse visant à ingurgiter l’amère pilule du troisième mandat présidentiel, là où « sa » constitution, qu’il avait bien interprétée au sortir de l’élection présidentielle de 2007, limite le nombre de mandats à deux.

Tout « juriste aussi » (Wade dixit) qu’il est, l’économiste qui, maintes fois, a déversé son aversion à tout ce qui touche au droit devrait, au nom de l’honnêteté intellectuelle, intégrer dans ses appréciations les points de vue des spécialistes pointus de la science constitutionnelle. La fameuse parabole de mon jeune collègue Mouhamadou Mounir Sy de l’ophtalmologiste se substituant au stomatologue pour l’extraction d’une dent malade est illustrative des perversités qu’un « connait tout » peut inoculer dans une société saine.

La volonté d’accaparement de l’œuvre constitutionnelle de 2001 a conduit le Président Wade à nier l’existence même de la commission d’experts qu’il avait instituée pour élaborer un avant-projet de Constitution. Pour lui, « il n’y a pas eu de commission de rédaction. La Constitution est mon (souligné par nous) œuvre. » Une telle posture lui donnerait ainsi le statut d’interprète privilégié de la constitution, même s’il reconnait par ailleurs que « (sa) déclaration n’a pas de valeur juridique ».

Les constitutionnalistes ne sauraient cependant rester indifférents à des contrevérités savamment distillées dans le dessein d’induire en erreur les citoyens. Le peuple sénégalais n’est pas amnésique. Il est au contraire reconnaissant du laborieux travail accompli par cette commission dont il me plait de recadrer les interactions informelles que j’entretenais indirectement avec les auteurs d’un projet de constitution dont j’avais dénoncé les dérives autoritaires depuis sa genèse. J’aborderai ensuite sur les points de droit soulevés par l’interview, avant de mettre en exergue la perche tendue par le Président Wade au Conseil constitutionnel.

L’existence de la commission de rédaction est irréfutable

Il faut être frappé d’une amnésie irréversible pour réfuter publiquement l’existence de la commission de rédaction instituée en vue d’élaborer un avant-projet de constitution commandé par le Président Wade. Placée sous l’autorité du Ministre de la justice, la dite commission était composée des professeurs Babacar Guèye et Demba Sy, de l’avocat Me Madické Niang représentant le Président de la République, du juge Taïfour Diop représentant le Premier ministre et du notaire Me Papa Ismail Ka représentant de la société civile.

Les observateurs avaient relevé que les deux professeurs de droit constitutionnel sénégalais du moment étaient magistralement ignorés par le Président Wade: le professeur Serigne Diop et moi-même. Il est étonnant, dans ces conditions, que le professeur Serigne Diop, publiquement écarté du processus en raison de son soutien au candidat défait par Wade, puisse être en même temps associé à l’œuvre constitutionnelle. Tout comme le professeur Amsatou Sow Sidibé qui est une civiliste de renommée internationale et que le Président Wade avait publiquement humiliée lors de son show de présentation du projet de Constitution, ait pu apporter son concours à l’enrichissement de son texte.

Enfin, le peuple sénégalais n’est pas atteint d’une cécité collective. Tous les téléspectateurs ont regardé la cérémonie solennelle et ultra médiatisée de remise de l’avant-projet de constitution au Président Wade qui, dix ans plus tard, nie l’existence même de cette commission qu’il avait mise sur pied.

L’on ne saurait passer sous silence la forte prégnance de la volonté et du style du Président Wade dans les différentes moutures qui lui ont été présentées. C’est en connaissance de cause que j’avais qualifié l’avant-projet de constitution publié en octobre 2000 de « travail d‘amateur » car les incongruités et les incohérences du texte sont aux antipodes de l’ingénierie constitutionnelle. Il état évident que la main qui tripatouillait tout le travail constitutionnel dans le sens d’acclimater le césarisme démocratique au Sénégal ne pouvait être celle de la commission. Les membres de la commission n’étaient que de simples scribes appelés à exécuter fidèlement un plan concocté par le Président Wade qui était le véritable et l’unique maitre d’ouvrage du chantier constitutionnel.

Dix ans, après l’histoire a réconforté cette conviction en dévoilant l’auteur réel de ce « travail d’amateur.» Ce coin du voile levé est en même temps un cinglant démenti infligé aux « avocats de courte robe » -pour emprunter la formule à Tamsir Jupiter Ndiaye- qui m’accusaient de prendre « un malin plaisir à flinguer mes collègues ». Ces derniers ont fini par adhérer à la vision du solitaire qui s’était attelé à démontrer ce qui fut une véritable supercherie constitutionnelle. Je rappelle en passant à ces contempteurs que je n’ai jamais éprouvé le besoin de porter des cagoules ou des gants dénoncer tous les plans machiavéliques déroulés depuis 2000 pour asseoir ce hideux système patrimonial où les biens publics et privés se sont imbriquent au seul profit de l’oligarchie qui a sa mainmise sur l’appareil d’Etat.

De même, l’on ne saurait occulter les manœuvres dolosives visant à légitimer un troisième mandat par la révision constitutionnelle de 2008 ou par la règle de la non rétroactivité des lois.

La révision de 2008 concerne la durée et non le nombre de mandats

Poussant plus loin son argumentaire, le Président Wade avance : « Depuis que l’article 27 instituant le septennat a été adopté en 2008, il n’y a pas eu d’élection. Mon premier mandat sous l’empire de ce nouveau texte est celui qui démarre en 2012. »

La stratégie confusionniste est sans équivoque. Le Président Wade confond durée et nombre de mandats qui sont deux notions juridiques fort différenciées. Le mandat est un contenant alors que la durée est un contenu. Les deux peuvent être soumis à des régimes juridiques qui ne se recoupent pas du tout. Il n’existe aucune détermination linéaire de l’un par l’autre. Au demeurant, certaines constitutions les distinguent clairement. Ainsi, l’article 220 de la Constitution de la République Démocratique du Congo – à l’élaboration de laquelle a pris part votre serviteur- interdit toute révision constitutionnelle portant sur « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ». Or, la très controversée révision constitutionnelle de 2008 n’a porté que sur la durée du mandat. Ses initiateurs avaient publiquement déclaré que la modification pouvait valablement porter sur la durée sans toucher au nombre de mandats qui est intangible. La durée est variable dans le temps et dans l’espace. Elle court à compter de la date d’entrée en fonction d’un président élu jusqu’à l’investiture de son successeur. Cette durée peut être de 5 ans ou de 7 ans, mais elle ne préjuge en rien le nombre de mandats.

L’article 27 en ce qui concerne ses dispositions relatives à la durée du mandat a été modifié en 2008 sans préjudice du nombre de mandats qui est toujours limité à deux. Or, le Président Wade ne saurait contester qu’il a exercé un premier mandat de 6 ans (2001-2007) alors qu’il devrait être élu, conformément à la Constitution du 22 janvier 2001, pour un mandat de 5 ans. Il a bénéficié en quelque sorte d’un bonus d’un an du fait qu’il était le Président de la République en exercice au moment de la promulgation de la Constitution de la 3ème République. Il a épuisé un second mandat de 5 ans de 2007 à 2012. Vouloir commencer son premier mandat en 2012 est une tentative d’arnaque constitutionnelle qui amène logiquement à se poser des questions sur le statut du pouvoir présidentiel de 2000 à 2012. Une présidence flottante dépourvue d’assise constitutionnelle du fait que la Constitution du 7 mars 1963 n’existe plus alors que la Constitution du 22 janvier 2001 n’est pas encore d’application ?

Si l’on raisonnait par l‘absurde en suivant la logique du Président Wade, sans affecter le principe de la limitation du nombre de mandats, il est loisible de modifier autant que de besoin la durée du mandat pour bénéficier d’un nouveau décompte du nombre de mandats, renvoyant ainsi aux calendes grecques la limitation du nombre de mandats !

L’irrecevabilité de l’argument tiré de la non rétroactivité des lois.

L’interviewé a semé une grande confusion autour de l’argument tiré de la règle de la non rétroactivité de la loi. A ce niveau également, le « juriste aussi » piétine le principe de la hiérarchie des actes juridiques en appliquant à la Constitution un principe d’ordre législatif. A moins de confondre, dans son for intérieur, la Constitution et la loi.

Le principe de la non rétroactivité des lois n’est pas intangible. Il est soumis à de possibles réaménagements de la part du législateur. Il est un simple principe général du droit, sauf en matière pénale où il est érigé en principe de valeur constitutionnelle qui s’impose à la loi, tout en restant soumis à l’autorité de la Constitution. Ce principe ne vaut alors que pour la loi et les actes qui lui sont inférieurs dans la hiérarchie des normes juridiques.

Le principe de la non rétroactivité des lois a été forgé pour résoudre les problèmes juridiques posés par les conflits de lois dans le temps. Or les conflits de lois dans le temps n’existent que dans le cadre d’un ordre constitutionnel existant. Le « conflit de constitutions dans le temps » n’existe nulle part au monde. A notre humble connaissance, il n’y a pas un seul pays au monde régi par deux Constitutions. Une nouvelle constitution naît généralement sur les cendres d’une ancienne. Le mandat du Président Wade entre 2001 et 2007 tire sa légitimité de la Constitution du 22 janvier 2001 et non de la Constitution du 7 mars 1963.

Les esprits rusés rétorqueront toujours que « la Constitution est une loi au sens matériel.» Cette myopie constitutionnelle ignore la dimension formelle de la Constitution qui l’a place au-dessus de toutes les normes qui existent au sein de l’Etat. Si on les suivait sur le terrain de l’absurdité, l’on pourrait péremptoirement affirmer : « l’arrêté règlementaire est une loi au sens matériel » ou « le décret règlementaire est une loi au sens matériel ». Pourtant « toutes ces lois au sens matériel » sont soumises à des régimes juridiques spécifiques. L’arrêté du Sous-préfet ne peut bénéficier du même traitement juridique que le décret ou l’ordonnance du Président de la République.

En conséquence, la Constitution du 22 janvier 2001 produit ses effets à compter de sa promulgation. C’est uniquement dans le but de faire l’économie d’une élection présidentielle anticipée ou de soumettre le Président Wade à un quinquennat alors qu’il lui restait un mandat de six ans, que l’article 104 de la nouvelle Constitution a procédé à cet arrangement constitutionnel qui ne porte pas préjudice à « toutes les autres dispositions de la Constitution », en particulier l’applicabilité immédiate de la limitation du nombre de mandats au premier Président de la 3ème République.

La perche du Président Wade tendue au Conseil constitutionnel

Tout ne fut pas négatif dans cet entretien accordé par le Président Wade à « Dakaractu ». Le Président Wade a solennellement invité le Conseil constitutionnel à prendre ses responsabilités en statuant en toute indépendance sur le différend porté à son jugement. Il s’est engagé à respecter scrupuleusement le verdict du juge électoral sur le contentieux de son troisième mandat. « Si par extraordinaire cela arrivait, je m’y plierais …. Mais si les juges en décident ainsi, je vous laisserai tout ça entre les mains » , avec comme bonus le « rêve de rester chez moi, au Point E, ou sur mon terrain à Yoff, pour recevoir les gens qui viennent solliciter mes conseils ». Il aura surtout le temps « d’écrire (ses) Mémoires » et de « rédiger des ouvrages qui remettent l’économie politique (pas le droit) sur ses pieds ».

Nul doute que le peuple sénégalais lui est reconnaissant de sa contribution à l’avènement et à la consolidation de la démocratie. Aussi, est-il temps qu’il se tourne vers la communauté scientifique en contribuant à l’essor de la science à travers ses expériences vécues et ses théories enrichies de son vécu.

Il y a bien une vie après la présidence de la République, Président Wade. Les Présidents Senghor et Abdou Diouf ne nous démentiront pas.

Votre « constitutionnaliste de bazar »

El Hadj Mbodj

Professeur titulaire des universités

Major du 6ème concours d’agrégation de droit et de science politique

Ancien expert constitutionnel de l’ONU au Dialogue inter-congolais

Ancien Expert constitutionnel de l’UE au Parlement de la transition de la RDC